Pollution de l’eau : « l’agriculture est au cœur des problèmes, mais n’est pas le problème »

Christine Coren-Gasperoni fait part de tout son respect aux agriculteurs au nom du groupe Doubs Social Ecologique et Solidaire, ce qui signifie d’abord ne pas leur mentir sur les conséquences de certaines pratiques qui sont à l’origine de la pollution des cours d’eau. Face aux mesures qui devront être prises pour sauver les rivières, il faut prendre le problème social et culturel à bras le corps, soutenir les agriculteurs et, surtout, les écouter pour trouver des solutions.

Le texte de l’intervention de Christine Coren-Gasperoni prononcé le 20 mars à l’occasion de l’Assemblée Départementale consacrée à notre demande de mission d’information et d’évaluation sur la pollution des rivières du Doubs :

L’agriculture est au cœur du problème, mais l’agriculture n’est pas le problème.

Personne ici ne souhaite tomber dans le piège commode qui consiste à enfermer les défenseurs de l’environnement dans la catégorie de ceux qui dénigrent l’agriculture. Personne ici ne souhaite attaquer l’agriculture et les agriculteurs.

Respecter les agriculteurs, c’est d’abord ne pas leur mentir, ni les inciter à s’endetter sur la base d’un modèle qui devra nécessairement évoluer. Respecter les agriculteurs, c’est leur tenir un discours de vérité : oui, l’agriculture est sans aucune contestation possible la principale cause de pollution des rivières avec des rejets trop importants d’azote et de phosphore.

Dire cela n’est pas une attaque contre les agriculteurs. Tant que cela ne sera pas intégré, nous ne pourrons pas avancer sur la question du traitement des pollutions dans les cours d’eau. Les agriculteurs en font déjà beaucoup et respectent dans leur quasi-totalité le cahier des charges restrictif de l’AOP comté.

Malheureusement, tout le monde constate sur le terrain que cela ne suffit pas. Ce mode d’élevage extensif ne poserait aucun problème ailleurs. Mais chez nous, la nature des sols karstiques fait que même ces pratiques plus vertueuses ne sont pas adaptées et engendrent des pollutions dans les rivières.

Nous ne tomberons pas dans le piège qui consisterait à faire peser l’ensemble de la responsabilité des pollutions aux seuls agriculteurs, et par conséquent à cette filière Comté dénoncée très souvent dans la presse. C’est la société tout entière qui doit s’interroger et trouver les pistes pour concilier agriculture et vie aquatique.

Depuis des années, bon nombre d’entre eux ont anticipé cette crise et ont modifié les méthodes de travail de leurs prédécesseurs, voire leurs propres méthodes. Ils ont évolué vers une agriculture beaucoup plus respectueuse de notre santé et de notre terre.

Raillés pour avoir été précurseurs et pour avoir annoncé les situations catastrophiques auxquelles nous devons faire face aujourd’hui, ces agriculteurs sont enfin pris au sérieux et ont été rejoints par beaucoup d’autres qui, chaque jour, prennent conscience qu’une partie des solutions dépend d’eux.

Une partie seulement car s’ils sont prêts à modifier leurs projets et leur agriculture, ils sont conscients que cela entrainera des conséquences financières très importantes pour eux et s’interrogent sur la survie même de leurs exploitations.

Diminuer le nombre de têtes de bétail dans une région où les éleveurs sont particulièrement attachés à leurs bêtes entraine un nombre considérable de défis à relever. Economiques d’abord, mais aussi culturels.

C’est la société dans son ensemble qui devrait empoigner cette question. Les pouvoirs publics devront aider et accompagner les agriculteurs dans cette mutation indispensable qui suscite des craintes légitimes et parfois un sentiment de rejet et, encore, des moqueries. L’aide de la collectivité sera indispensable pour rassurer les agriculteurs, sécuriser les démarches de changement de pratiques et susciter de nouvelles vocations pour, au minimum, maintenir le nombre d’exploitants agricoles.

Nous sommes certains qu’un grand nombre d’entre eux sont conscients de la situation et seront prêts à fournir les efforts nécessaires s’ils se sentent respectés et ne se retrouvent pas perdants.

Nous devons écouter les analyses et les conseils des scientifiques, mais nous devons également écouter ceux qui sont les plus à même d’analyser l’agriculture : les agriculteurs. Le volet social est absolument indissociable de l’effort à fournir pour régler la pollution des rivières du Doubs. Il y va de la réussite de l’évolution de notre agriculture pour la sauvegarde de notre santé, de l’eau que l’on boit, de l’air que l’on respire, et donc de l’avenir de notre planète.

Les rivières du Doubs en bon état écologique, vraiment ?

Vidéo de Georges Ubbiali qui pousse la chansonnette et interroge la pertinence des indicateurs utilisés sur le site de l’eau du département du Doubs qui classe l’essentiel des cours d’eau dans la catégorie « bon état écologique ». Cela ne reflète pas la réalité et contribue à donner une information biaisée au public. Intervention prononcée lors de l’Assemblée départementale du 20 mars 2023 consacrée à la demande de mission d’information et d’évaluation sur la pollution des rivières du Doubs.

Texte de cette intervention prononcée lors de l’Assemblée départementale du 20 mars 2023 consacrée à la demande de mission d’information et d’évaluation sur la pollution des rivières du Doubs :

Comme beaucoup de monde, et peut-être même certains d’entre vous, j’ai pu voir de mes yeux la catastrophe en cours dans nos rivières. Je suis le seul élu départemental à avoir répondu à l’invitation qui nous avait été lancée en décembre par la société de pêche la Franco-Suisse à Goumois. L’objectif était de constater sur le terrain la situation dramatique des cours d’eau et les mortalités massives de poissons. Peut-être avez-vous eu d’autres occasions de voir par vous-même ce triste spectacle, ce n’est malheureusement pas rare, et de plus en plus fréquent.

Quand vous vous promenez le long des berges, vous voyez de très nombreux de poissons sur le flanc, d’autres agonisent dans l’eau, presque immobiles en attendant la mort, recouverte de taches blanches, victimes d’un champignon Le saprolégnia. Presque aucun poisson ne nageait normalement. Je ne suis même plus sûr d’en avoir vu un. C’est un spectacle désolant et terrifiant, qui n’est, hélas, pas nouveau.

Mais, en décembre, la situation était encore plus grave. Pour la première fois, l’épisode de mortalité est survenu AVANT la période de reproduction des poissons. Cela aura donc des conséquences sur la population des truites et des ombres déjà fort mal en point. Les poissons seront, très probablement, encore moins nombreux à survivre aux prochaines pollutions. Peut-être que la prochaine fois, nous ne verrons plus de poissons morts. Simplement, parce qu’il n’y aura plus du tout de poissons dans les rivières.

Lors de cette visite, les gardes-pêche ont souhaité alerter sur les indicateurs utilisés pour déterminer le bon état écologique des cours d’eau. Les voyants sont au vert, mais les poissons meurent. Cherchez l’erreur !!!. Cette situation n’échappe d’ailleurs à personne. Les indicateurs réglementaires issus de la Directive-cadre sur l’eau de 2019 ne sont pas du tout adaptés aux rivières karstiques. J’ai appris par la suite que le seuil de la valeur guide optimale pour le nitrate avait été multiplié par 5 par rapport aux normes de 2013.

Les choses avancent, l’EPAGE Haut-Doubs Haute-Loue a validé au printemps 2022 les concentrations maximales admissibles en azote et phosphore d’après des valeurs proposées par le laboratoire Chrono-environnement de l’Université de Franche-Comté et qui correspondent davantage à la réalité du terrain. Cela est d’ailleurs rappelé sur le site de l’eau du département.

Tout le monde a donc bien conscience que déterminer le bon état écologique des rivières d’après les seuils réglementaires/officiels n’a strictement aucun sens. Pourtant, c’est sur cette base que les résultats sont présentés sur le site de l’eau. Les visiteurs du site qui cherchent une information sur la qualité du Doubs à Goumois constateront que la station est toute en vert sur le site de l’eau du département. Bon état écologique, bon état biologique. Bon sur tout. La station de Goumois est même en très bon état pour l’indice des macro-invertébrés, de la teneur en oxygène et de la température. Tout est quasiment merveilleux sur le site de l’eau.

Pourtant, le constat, c’est que ces résultats ne donnent pas la bonne information aux citoyens. Et ce n’est pas une surprise pour vous, puisque la mise en garde existe pourtant bien sur le site départemental de l’eau ! En présentation de l’onglet sur la qualité des cours d’eau, la remarque indique, et je cite «  Le « bon état écologique » correspond théoriquement au bon fonctionnement des écosystèmes du milieu aquatique. En pratique, il convient de rester prudent quant aux qualificatifs issus d’une interprétation de résultats d’analyses sur la seule base de seuils réglementaires. Les cartes présentées ont davantage vocation à distinguer les cours d’eau dont l’état d’altération est plus prononcé que les autres. Concrètement, l’obtention du « bon état » sur une station d’étude ne signifie pas nécessairement que le cours d’eau est préservé et fonctionne de manière optimale ». Il n’y a rien à ajouter, tout est dit.

Seul le paramètre nitrate n’est pas présenté selon les normes réglementaires de la DCE (Directive-cadre sur l’eau) sur les cartes du site de l’eau. Pour cette valeur, ce sont les normes de 2013 qui sont utilisées.

Mais cela n’a pas empêché que lorsque j’étais à Goumois en train d’observer les poissons morts, la station de Goumois était toute en vert sur le site de l’eau. Pour retrouver des valeurs brutes, il faut aller ailleurs. Sur la base de données Naiades que je suis allé consulter (Base de données stations de contrôle de la qualité de l’eau) on retrouve ces valeurs concernant la concentration en nitrate : 9.2 mg/l en septembre 2022, 10 en octobre, 8.6 en novembre et 8.2mg/l le 1 er décembre, valeur la plus récente présentée.

Malgré les discrètes mises en garde du site, j’estime donc que l’information délivrée n’est ni fiable ni correcte, car elle ne permet pas de se faire une idée la plus objective possible de la situation. La dernière mise à jour des valeurs de la station de Goumois indique d’ailleurs la date du 2 octobre 2021. Nous pensons qu’il faut clarifier de la fréquence des mesures utilisées et de la présentation au public sur le site et que vous devriez donner au public les valeurs brutes de concentration des nitrates dans l’eau et les mettre en relation avec les valeurs maximales validée par l’EPAGE.

D’ailleurs, pouvez-vous nous donner la valeur moyenne de la concentration moyenne des cours d’eau du Doubs pour se faire une idée de la marche à franchir ?