Propos liminaire de Raphaël Krucien prononcé le 24 mars 2025 lors de l’Assemblée Départementale consacrée à la première Décision Modificative du budget. Des travailleurs sociaux manifestaient devant l’Hôtel du Département pour protester contre une coupe du budget de la prévention spécialisée qui fait craindre la disparition d’un tiers des éducateurs de rue. Il est aussi question d’eau et de priorisation des travaux à mener dans les collèges.
En préambule de nos propos, je voudrais tout d’abord saluer nos pompiers pour l’organisation, sans failles, de leur cross national ce weekend à Besançon.
Des milliers de sapeurs sont venus de toutes les régions de France, outre-mer compris, pour partager une journée sportive et festive.
Ce fut une réussite.
Une réussite, tout comme la manifestation qui a réuni près de 1000 personnes à Ornans samedi.
Là-bas, l’heure était un peu moins à la fête, puisqu’il s’agissait de « l’enterrement de la Loue ». Quinze années après les premières alertes, tout est pire.
Toujours moins de poissons, moins d’insectes, moins de vie. Les rivières meurent, empoisonnées depuis trop longtemps et déjà dangereusement diminuées lors des épisodes de sécheresse qui se multiplieront dans le futur sous l’effet du dérèglement climatique.
C’est peu dire que la situation est catastrophique.
Tout le monde en a conscience. Des premiers efforts sont à saluer. Ils ont été présentés la semaine dernière lors d’un point d’étape du plan rivières karstiques, dont le Département est partenaire avec la Préfecture.
Initiée par le pôle régional de l’environnement du parquet de Besançon, puis renforcée par les services de l’Etat, la pression judiciaire et administrative exercée sur les fromageries pour la mise en conformité de leurs rejets a payé.
Aujourd’hui, toutes les fromageries sont aux normes. Respecter la loi est un bon début, mais cela ne suffira pas. Pas plus que les travaux de restauration de certains cours d’eau sur quelques kilomètres, bien que forts utiles.
Mettre en avant les actions réalisées est, certes, nécessaire, mais vous n’êtes attendus que sur une chose : les résultats.
Pour contextualiser les choses, il est utile de citer l’étude Nutri-Karst, qui hiérarchise les sources de pollution. La transformation du lait est responsable de 0.4% des apports d’azote et de 0.6% des apports de phosphore, les rejets domestiques c’est 7% de l’azote et 5% du phosphore. Le principal émetteur est l’agriculture, qui concentre 92% de l’azote et 95% du phosphore.
Il n’y a besoin d’aucune autre explications pour savoir où il faut agir en priorité. Rien ne sera réglé tant que la quantité d’azote et de phosphore rejetée sur nos belles prairies ne baissera pas. Alors la question est simple pour les citoyens qui ne peuvent se satisfaire de belles paroles : existe-t-il une réelle volonté réelle de la collectivité et des services de l’Etat de régler le problème de la pollution et d’agir sur ses causes ?
La réponse à cette question est en grande partie liée à celle du devenir de l’étude sur les flux admissibles menée par l’EPAGE Haut-Doubs-Haute-Loue. Alors pour donner un peu de substance à l’effort de communication que vous avez entrepris la semaine dernière, nous aimerions une réponse claire. Est-ce que l’EPAGE et la Commission locale de l’eau se fixent toujours pour objectif de baisser les quantités d’azote et de phosphore que l’on retrouve dans les rivières jusqu’à parvenir aux seuils admissibles par le milieu, c’est-à-dire, tout simplement garantir une vie aquatique ?
Autre question qui nous préoccupe beaucoup dans ces temps de rigueur budgétaire. Pouvez-vous prendre aujourd’hui l’engagement de maintenir jusqu’à la fin de votre mandat les subventions que le Département verse pour améliorer les systèmes d’assainissement de notre territoire ?
Tout récemment, c’est devant la justice que la question générale de la qualité des cours d’eau s’est posée à peu près dans ces mêmes termes.
Saisi de deux recours portés par l’association Eaux et Rivières de Bretagne, le tribunal administratif de Rennes enjoint, et je le cite, « au préfet de la région Bretagne de prendre dans un délai de dix mois toutes les mesures nécessaires pour réduire effectivement la pollution des eaux par les nitrates d’origine agricole sur le territoire breton, en se dotant notamment d’outils de contrôle permettant un pilotage effectif des actions menées ».
Nous le voyons bien à travers cet exemple. En dernier ressort, seule une justice indépendante et le droit sont à même de garantir le respect des lois et de l’intérêt général face aux lobbys, aux puissances économiques,au manque de volonté et de courage politique. Vu le contexte national et international, le retour de TRUMP au pouvoir aux USA, l’élection de Javier MILEI en Argentine, celle de Viktor ORBAN en Hongrie et même les déclarations du ministre de l’Intérieur français, nous en venons à devoir affirmer notre soutien à l’état de droit devant les attaques répétées et de plus en plus décomplexés qu’il subit.
Ces dérives idéologiques qui visent à détricoter de manière brutale et chaotique les services publics et affaiblir le poids de l’Etat devraient tous nous alerter. C’est notre démocratie qui est menacée. D’autant plus qu’une autre menace se profile : les restrictions budgétaires imposées par l’Etat aux collectivités.
Nous sommes bien placés pour en savoir quelque chose ici parce que nous sommes l’échelon le plus impacté par ces mesures. Et si nous sommes réunis ce jour, c’est bien pour décider d’un ajustement du budget du Département suite au vote de la loi de finance 2025.
Le gel de la dynamique de TVA et l’instauration d’une année blanche conduiront à affecter en 2025 le même produit que celui versé en 2024 à ce titre.
Pour le Département, cela représente une baisse de 7M€.
Des dépenses supplémentaires sont au programme : une contribution de 1.4M€ au titre d’un dispositif de lissage conjoncturel des recettes et une hausse des cotisations retraites des agents qui représente cette année 1.4M€ supplémentaires.
Quelques recettes nouvelles sont attendues, notamment celles qui résulteront du relèvement de 0.5 point du taux de DMTO, les Droits de Mutation à Titre Onéreux, autrement dit les frais de notaires, dont une part importante revient aux départements. Nous tenons d’ailleurs à souligner que la proposition que vous défendez aujourd’hui porte un coup à votre dogme anti-impôt.
Mais comment se passer de 3M€ supplémentaires quand on doit faire face, dans le même temps, à des besoins de plus en plus importants et à des recettes en baisse ?
Mon collègue Claude DALLAVALLE y reviendra au moment du rapport associé, car il porte la mémoire de la dernière décision de cette nature par cette assemblée, datant de 2014.
Malheureusement, cette hausse ne suffit pas à compenser la baisse du budget du Département.
Vous évaluez l’effort qu’il reste à faire à 9M€, que vous partagez entre une baisse de 1.5M€ du budget de fonctionnement et de 7.5M€ du budget investissement.
Il y a peu de marge en fonctionnement, mais vous proposez notamment 500.000 € d’économies en réduisant le recours aux contractuels pour remplacer des agents en arrêts, vous supprimez les contrats aidés pour gagner 250.000 €.
Et puis il y a cette baisse, scandaleuse, qui provoque beaucoup d’émoi : – 250.000 € sur le budget de la prévention spécialisée.
Au nom de l’ensemble du groupe, je tiens à exprimer notre pleine solidarité envers les travailleurs sociaux, les professionnels de la protection de l’enfance et les salariés de l’ADDSEA qui manifestent en ce moment devant le siège du Département et qui sont abasourdis par votre décision.
Cette fois la baisse ne passe pas inaperçue, contrairement à celle de plus de 200.000 € que vous avez votée avec le budget primitif lors de la dernière Assemblée.
En rayant d’un trait de plume 17% du budget de la prévention spécialisée, vous lui portez un coup qui peut s’avérer mortel.
L’ADDSEA, à qui le Département délègue cette politique, n’a pas d’autres choix que de répercuter cette baisse en supprimant des postes. Certainement 12 éducateurs de rue sur les 38 qui vont à la rencontre des jeunes dans les quartiers prioritaires de Besançon, de Montbéliard et de Pontarlier.
Leur métier, c’est de tisser du lien pour éviter à certains jeunes de connaitre le décrochage scolaire, la délinquance, débloquer des situations familiales complexes, permettre un accès à la santé, favoriser l’accès aux formations, à l’insertion professionnelle, etc. En somme, prévenir plutôt que guérir, agir avant qu’il ne soit trop tard.
Ne voyez-vous pas de bénéfices à maintenir des adultes auprès de ces jeunes avant qu’ils ne basculent ?
Pour nous c’est une évidence. Nous devons au contraire augmenter les moyens de prévention pour épargner à des centaines d’enfants une entrée dans d’autres dispositifs de protection plus éprouvant pour eux, plus couteux pour la collectivité et de toute façon saturés.
Vous forcez l’ADDSEA à se séparer d’un tiers de ses effectifs de prévention spécialisée,
Vous les forcez à choisir quels quartiers et quels jeunes elle devra abandonner.
Vous aggravez les problèmes de la société pour une économie de court terme presque insignifiante pour le Département, mais qui risque de lui couter très chère dans le futur.
C’est indigne et irresponsable !
Comment pouvez-vous affaiblir la protection de l’enfance de la sorte avec un tel arbitrage, si brutal, si choquant ?
Plus qu’une justification, c’est la reconnaissance de votre faute que nous sommes très nombreux à attendre aujourd’hui. Nous vous le demandons avec force Madame la Présidente : renoncez à cette décision et considérez mieux vos priorités et vos arbitrages budgétaires.
Votez avec nous l’amendement que nous vous avons envoyé : Il s’agit de préserver la prévention spécialisée, qui est une compétence obligatoire des Départements.
Notre amendement est très simple, il n’a aucune incidence sur le budget et consiste à annuler cette coupe pour la remplacer par une baisse du budget d’aide à l’immobilier d’entreprise.
Cette politique est une volonté de votre part, ce n’est en aucun cas une compétence obligatoire des départements. Ce n’est ni plus ni moins que du saupoudrage économique et du gaspillage d’argent public que nous dénonçons depuis que vous l’avez instauré.
Vous préférez mettre en avant l’aide accordée aux petits commerces de proximité en zone rurale pour en vanter l’intérêt. Mais la réalité, c’est que l’enveloppe de 3.7 M€ du programme « développement économique 23-26 » est distribué presque entièrement à des entreprises qui n’ont pas forcément besoin de l’aide de notre collectivité.
Plutôt que de supprimer 450.000 € d’un financement essentiel, nous vous demandons de renoncer immédiatement à cette politique pendant qu’il reste encore 2.1 M€ dans ce programme.
Pour éclairer le débat sur cette question et préciser notre position, il nous semble utile de rappeler quelques exemples de l’affectation de ces fonds décidés lors des Commissions permanentes qui ne sont pas publiques.
- 50.000 € à un gros affineur de comté pour accroitre sa capacité de stockage de 30.000 meules.
- 14.500 € à la SCI d’un agent immobilier de Morteau pour l’aider à acheter son local.
- 50.000 € à une fruitière qui collecte 2.9 millions de litres de lait par an.
- 47.500 € à une entreprise dentaire pour la création d’un cabinet, dans ce cas aussi, via une SCI.
- 50.000 € à une entreprise sous-traitant de l’industrie du luxe qui génère un chiffre d’affaires de 25M€ et qui a rendu millionnaire son actionnaire unique.
On pourrait citer d’autres cas, nous n’arrivons pas à cerner la pertinence et les critères objectifs qui déterminent le versement de ces aides qui peuvent s’apparenter à une forme de clientélisme.
Si la protection de l’enfance est vraiment votre priorité, c’est le moment ou jamais de le prouver à tous ceux qui œuvrent dans ce domaine
Notre proposition d’amendement fait preuve de bon sens, et nous faisons appel à la conscience de tous les conseillers départementaux sur ce sujet.
Votons-le ensemble !
Il y a un autre point que l’on aimerait aborder sur le sujet de l’aide à l’enfance, c’est l’appel à projet en cours pour 450 mesures d’AEMOR, les mesures d’Action éducative en milieu ouvert renforcée, qui remplace les PEAD, les Placements éducatifs à domicile.
Nous avons été alertés par les syndicats de certaines structures qui dénoncent une baisse des couts journée par enfant, passant de 75€ par mandat PEAD qui peut concerner plusieurs enfants à 34€ pour une mesure AEMOR qui est individuelle et craignent une baisse de moyens.
Nous aimerions que vous expliquiez un peu ce que cela implique en terme financier pour les structures et en termes de places d’accueil par rapport à l’existant.
Pour revenir à cette décision modificative et évoquer un peu les 7.5M€ d’économies que vous faites sur la partie investissement, nous sommes très inquiets de la baisse de 3 M€ prévue sur la rénovation des collèges, en ne maintenant plus qu’une des 7 opérations programmées.
Vous étiez déjà anormalement très en retard sur ce dossier et vous changez maintenant l’ordre des priorités en privilégiant la rénovation du collège de Sancey.
Mais sur quelles bases cette décision s’appuie-t-elle ? Car jusqu’en 2021 le Plan de Modernisation des Collèges (PMC) établissait les priorités différemment, et ce serait au collège de Seloncourt d’être à son tour rénové.
Nous devons avoir aussi un débat aujourd’hui sur ce sujet, d’autant que vous prévoyez aussi de baisser de 750.000 € le gros entretien et de réparation des collèges.
Je laisserai le soin à mes collègues, de vous faire part de nos interrogations dans le débat qui suivra
Vous avez choisi aussi de faire des économies sur le renouvellement des routes, comme un très grand nombre de départements, puisque cela coute très cher et que cela représente donc un levier évident pour réduire les dépenses de notre collectivité.
Même si cela engendrera des couts de travaux certainement plus importants dans le futur, soyons clair et sincères. A votre place, nous aurions certainement fait pareil.
Nous faisons confiance aux services pour prioriser toujours au plus juste les renouvellements de chaussées, entretient de pont et d’ouvrages d’art.
Merci d’avance pour vos différentes réponses et pour votre attention.