Discours Assemblée Départementale 24/03/25

Propos liminaire de Raphaël Krucien prononcé le 24 mars 2025 lors de l’Assemblée Départementale consacrée à la première Décision Modificative du budget. Des travailleurs sociaux manifestaient devant l’Hôtel du Département pour protester contre une coupe du budget de la prévention spécialisée qui fait craindre la disparition d’un tiers des éducateurs de rue. Il est aussi question d’eau et de priorisation des travaux à mener dans les collèges.

En préambule de nos propos, je voudrais tout d’abord saluer nos pompiers pour l’organisation, sans failles, de leur cross national ce weekend à Besançon.

Des milliers de sapeurs sont venus de toutes les régions de France, outre-mer compris, pour partager une journée sportive et festive.

Ce fut une réussite.

Une réussite, tout comme la manifestation qui a réuni près de 1000 personnes à Ornans samedi.

Là-bas, l’heure était un peu moins à la fête, puisqu’il s’agissait de « l’enterrement de la Loue ». Quinze années après les premières alertes, tout est pire.

Toujours moins de poissons, moins d’insectes, moins de vie. Les rivières meurent, empoisonnées depuis trop longtemps et déjà dangereusement diminuées lors des épisodes de sécheresse qui se multiplieront dans le futur sous l’effet du dérèglement climatique.

C’est peu dire que la situation est catastrophique.

Tout le monde en a conscience. Des premiers efforts sont à saluer. Ils ont été présentés la semaine dernière lors d’un point d’étape du plan rivières karstiques, dont le Département est partenaire avec la Préfecture.

Initiée par le pôle régional de l’environnement du parquet de Besançon, puis renforcée par les services de l’Etat, la pression judiciaire et administrative exercée sur les fromageries pour la mise en conformité de leurs rejets a payé.

Aujourd’hui, toutes les fromageries sont aux normes. Respecter la loi est un bon début, mais cela ne suffira pas. Pas plus que les travaux de restauration de certains cours d’eau sur quelques kilomètres, bien que forts utiles.

Mettre en avant les actions réalisées est, certes, nécessaire, mais vous n’êtes attendus que sur une chose : les résultats.

Pour contextualiser les choses, il est utile de citer l’étude Nutri-Karst, qui hiérarchise les sources de pollution. La transformation du lait est responsable de 0.4% des apports d’azote et de 0.6% des apports de phosphore, les rejets domestiques c’est 7% de l’azote et 5% du phosphore. Le principal émetteur est l’agriculture, qui concentre 92% de l’azote et 95% du phosphore.

Il n’y a besoin d’aucune autre explications pour savoir où il faut agir en priorité. Rien ne sera réglé tant que la quantité d’azote et de phosphore rejetée sur nos belles prairies ne baissera pas. Alors la question est simple pour les citoyens qui ne peuvent se satisfaire de belles paroles : existe-t-il une réelle volonté réelle de la collectivité et des services de l’Etat de régler le problème de la pollution et d’agir sur ses causes ?

La réponse à cette question est en grande partie liée à celle du devenir de l’étude sur les flux admissibles menée par l’EPAGE Haut-Doubs-Haute-Loue. Alors pour donner un peu de substance à l’effort de communication que vous avez entrepris la semaine dernière, nous aimerions une réponse claire. Est-ce que l’EPAGE et la Commission locale de l’eau se fixent toujours pour objectif de baisser les quantités d’azote et de phosphore que l’on retrouve dans les rivières jusqu’à parvenir aux seuils admissibles par le milieu, c’est-à-dire, tout simplement garantir une vie aquatique ?

Autre question qui nous préoccupe beaucoup dans ces temps de rigueur budgétaire. Pouvez-vous prendre aujourd’hui l’engagement de maintenir jusqu’à la fin de votre mandat les subventions que le Département verse pour améliorer les systèmes d’assainissement de notre territoire ?

Tout récemment, c’est devant la justice que la question générale de la qualité des cours d’eau s’est posée à peu près dans ces mêmes termes.

Saisi de deux recours portés par l’association Eaux et Rivières de Bretagne, le tribunal administratif de Rennes enjoint, et je le cite, « au préfet de la région Bretagne de prendre dans un délai de dix mois toutes les mesures nécessaires pour réduire effectivement la pollution des eaux par les nitrates d’origine agricole sur le territoire breton, en se dotant notamment d’outils de contrôle permettant un pilotage effectif des actions menées ».

Nous le voyons bien à travers cet exemple. En dernier ressort, seule une justice indépendante et le droit sont à même de garantir le respect des lois et de l’intérêt général face aux lobbys, aux puissances économiques,au manque de volonté et de courage politique. Vu le contexte national et international, le retour de TRUMP au pouvoir aux USA, l’élection de Javier MILEI en Argentine, celle de Viktor ORBAN en Hongrie et même les déclarations du ministre de l’Intérieur français, nous en venons à devoir affirmer notre soutien à l’état de droit devant les attaques répétées et de plus en plus décomplexés qu’il subit.

Ces dérives idéologiques qui visent à détricoter de manière brutale et chaotique les services publics et affaiblir le poids de l’Etat devraient tous nous alerter. C’est notre démocratie qui est menacée. D’autant plus qu’une autre menace se profile : les restrictions budgétaires imposées par l’Etat aux collectivités.

Nous sommes bien placés pour en savoir quelque chose ici parce que nous sommes l’échelon le plus impacté par ces mesures. Et si nous sommes réunis ce jour, c’est bien pour décider d’un ajustement du budget du Département suite au vote de la loi de finance 2025.

Le gel de la dynamique de TVA et l’instauration d’une année blanche conduiront à affecter en 2025 le même produit que celui versé en 2024 à ce titre.

Pour le Département, cela représente une baisse de 7M€.

Des dépenses supplémentaires sont au programme : une contribution de 1.4M€ au titre d’un dispositif de lissage conjoncturel des recettes et une hausse des cotisations retraites des agents qui représente cette année 1.4M€ supplémentaires.

Quelques recettes nouvelles sont attendues, notamment celles qui résulteront du relèvement de 0.5 point du taux de DMTO, les Droits de Mutation à Titre Onéreux, autrement dit les frais de notaires, dont une part importante revient aux départements. Nous tenons d’ailleurs à souligner que la proposition que vous défendez aujourd’hui porte un coup à votre dogme anti-impôt.

Mais comment se passer de 3M€ supplémentaires quand on doit faire face, dans le même temps, à des besoins de plus en plus importants et à des recettes en baisse ?

Mon collègue Claude DALLAVALLE y reviendra au moment du rapport associé, car il porte la mémoire de la dernière décision de cette nature par cette assemblée, datant de 2014.

Malheureusement, cette hausse ne suffit pas à compenser la baisse du budget du Département.

Vous évaluez l’effort qu’il reste à faire à 9M€, que vous partagez entre une baisse de 1.5M€ du budget de fonctionnement et de 7.5M€ du budget investissement.

Il y a peu de marge en fonctionnement, mais vous proposez notamment 500.000 € d’économies en réduisant le recours aux contractuels pour remplacer des agents en arrêts, vous supprimez les contrats aidés pour gagner 250.000 €.

Et puis il y a cette baisse, scandaleuse, qui provoque beaucoup d’émoi : – 250.000 € sur le budget de la prévention spécialisée.

Au nom de l’ensemble du  groupe, je tiens à exprimer notre pleine solidarité envers les travailleurs sociaux, les professionnels de la protection de l’enfance et les salariés de l’ADDSEA qui manifestent en ce moment devant le siège du Département et qui sont abasourdis par votre décision.

Cette fois la baisse ne passe pas inaperçue, contrairement à celle de plus de 200.000 € que vous avez votée avec le budget primitif lors de la dernière Assemblée.

En rayant d’un trait de plume 17% du budget de la prévention spécialisée, vous lui portez un coup qui peut s’avérer mortel.

L’ADDSEA, à qui le Département délègue cette politique, n’a pas d’autres choix que de répercuter cette baisse en supprimant des postes. Certainement 12 éducateurs de rue sur les 38 qui vont à la rencontre des jeunes dans les quartiers prioritaires de Besançon, de Montbéliard et de Pontarlier.

Leur métier, c’est de tisser du lien pour éviter à certains jeunes de connaitre le décrochage scolaire, la délinquance, débloquer des situations familiales complexes, permettre un accès à la santé, favoriser l’accès aux formations, à l’insertion professionnelle, etc. En somme, prévenir plutôt que guérir, agir avant qu’il ne soit trop tard.

Ne voyez-vous pas de bénéfices à maintenir des adultes auprès de ces jeunes avant qu’ils ne basculent ?

Pour nous c’est une évidence. Nous devons au contraire augmenter les moyens de prévention pour épargner à des centaines d’enfants une entrée dans d’autres dispositifs de protection plus éprouvant pour eux, plus couteux pour la collectivité et de toute façon saturés.

Vous forcez l’ADDSEA à se séparer d’un tiers de ses effectifs de prévention spécialisée,

Vous les forcez à choisir quels quartiers et quels jeunes elle devra abandonner.

Vous aggravez les problèmes de la société pour une économie de court terme presque insignifiante pour le Département, mais qui risque de lui couter très chère dans le futur.

C’est indigne et irresponsable !

Comment pouvez-vous affaiblir la protection de l’enfance de la sorte avec un tel arbitrage, si brutal, si choquant ?

Plus qu’une justification, c’est la reconnaissance de votre faute que nous sommes très nombreux à attendre aujourd’hui. Nous vous le demandons avec force Madame la Présidente : renoncez à cette décision et considérez mieux vos priorités et vos arbitrages budgétaires.

Votez avec nous l’amendement que nous vous avons envoyé : Il s’agit de préserver la prévention spécialisée, qui est une compétence obligatoire des Départements.

Notre amendement est très simple, il n’a aucune incidence sur le budget et consiste à annuler cette coupe pour la remplacer par une baisse du budget d’aide à l’immobilier d’entreprise.

Cette politique est une volonté de votre part, ce n’est en aucun cas une compétence obligatoire des départements. Ce n’est ni plus ni moins que du saupoudrage économique et du gaspillage d’argent public que nous dénonçons depuis que vous l’avez instauré.

Vous préférez mettre en avant l’aide accordée aux petits commerces de proximité en zone rurale pour en vanter l’intérêt. Mais la réalité, c’est que l’enveloppe de 3.7 M€ du programme « développement économique 23-26 » est distribué presque entièrement à des entreprises qui n’ont pas forcément besoin de l’aide de notre collectivité.

Plutôt que de supprimer 450.000 € d’un financement essentiel, nous vous demandons de renoncer immédiatement à cette politique pendant qu’il reste encore 2.1 M€ dans ce programme.

Pour éclairer le débat sur cette question et préciser notre position, il nous semble utile de rappeler quelques exemples de l’affectation de ces fonds décidés lors des Commissions permanentes qui ne sont pas publiques.

  1. 50.000 € à un gros affineur de comté pour accroitre sa capacité de stockage de 30.000 meules.
  2. 14.500 € à la SCI d’un agent immobilier de Morteau pour l’aider à acheter son local.
  3. 50.000 € à une fruitière qui collecte 2.9 millions de litres de lait par an.
  4. 47.500 € à une entreprise dentaire pour la création d’un cabinet, dans ce cas aussi, via une SCI.
  5. 50.000 € à une entreprise sous-traitant de l’industrie du luxe qui génère un chiffre d’affaires de 25M€ et qui a rendu millionnaire son actionnaire unique.

On pourrait citer d’autres cas, nous n’arrivons pas à cerner la pertinence et les critères objectifs qui déterminent le versement de ces aides qui peuvent s’apparenter à une forme de  clientélisme.

Si la protection de l’enfance est vraiment votre priorité, c’est le moment ou jamais de le prouver à tous ceux qui œuvrent dans ce domaine

Notre proposition d’amendement fait preuve de bon sens, et nous faisons appel à la conscience de tous les conseillers départementaux sur ce sujet.

Votons-le ensemble !

Il y a un autre point que l’on aimerait aborder sur le sujet de l’aide à l’enfance, c’est l’appel à projet en cours pour 450 mesures d’AEMOR, les mesures d’Action éducative en milieu ouvert renforcée, qui remplace les PEAD, les Placements éducatifs à domicile.

Nous avons été alertés par les syndicats de certaines structures qui dénoncent une baisse des couts journée par enfant, passant de 75€ par mandat PEAD qui peut concerner plusieurs enfants à 34€ pour une mesure AEMOR qui est individuelle et craignent une baisse de moyens.

Nous aimerions que vous expliquiez un peu ce que cela implique en terme financier pour les structures et en termes de places d’accueil par rapport à l’existant.

Pour revenir à cette décision modificative et évoquer un peu les 7.5M€ d’économies que vous faites sur la partie investissement, nous sommes très inquiets de la baisse de 3 M€ prévue sur la rénovation des collèges, en ne maintenant plus qu’une des 7 opérations programmées.

Vous étiez déjà anormalement très en retard sur ce dossier et vous changez maintenant l’ordre des priorités en privilégiant la rénovation du collège de Sancey.

Mais sur quelles bases cette décision s’appuie-t-elle ? Car jusqu’en 2021 le Plan de Modernisation des Collèges (PMC) établissait les priorités différemment, et ce serait au collège de Seloncourt d’être à son tour rénové.

Nous devons avoir aussi un débat aujourd’hui sur ce sujet, d’autant que vous prévoyez aussi de baisser de 750.000 € le gros entretien et de réparation des collèges.

Je laisserai le soin à mes collègues, de vous faire part de nos interrogations dans le débat qui suivra

Vous avez choisi aussi de faire des économies sur le renouvellement des routes, comme un très grand nombre de départements, puisque cela coute très cher et que cela représente donc un levier évident pour réduire les dépenses de notre collectivité.

Même si cela engendrera des couts de travaux certainement plus importants dans le futur, soyons clair et sincères. A votre place, nous aurions certainement fait pareil.

Nous faisons confiance aux services pour prioriser toujours au plus juste les renouvellements de chaussées, entretient de pont et d’ouvrages d’art.

Merci d’avance pour vos différentes réponses et pour votre attention.

Pollution de l’eau : « l’agriculture est au cœur des problèmes, mais n’est pas le problème »

Christine Coren-Gasperoni fait part de tout son respect aux agriculteurs au nom du groupe Doubs Social Ecologique et Solidaire, ce qui signifie d’abord ne pas leur mentir sur les conséquences de certaines pratiques qui sont à l’origine de la pollution des cours d’eau. Face aux mesures qui devront être prises pour sauver les rivières, il faut prendre le problème social et culturel à bras le corps, soutenir les agriculteurs et, surtout, les écouter pour trouver des solutions.

Le texte de l’intervention de Christine Coren-Gasperoni prononcé le 20 mars à l’occasion de l’Assemblée Départementale consacrée à notre demande de mission d’information et d’évaluation sur la pollution des rivières du Doubs :

L’agriculture est au cœur du problème, mais l’agriculture n’est pas le problème.

Personne ici ne souhaite tomber dans le piège commode qui consiste à enfermer les défenseurs de l’environnement dans la catégorie de ceux qui dénigrent l’agriculture. Personne ici ne souhaite attaquer l’agriculture et les agriculteurs.

Respecter les agriculteurs, c’est d’abord ne pas leur mentir, ni les inciter à s’endetter sur la base d’un modèle qui devra nécessairement évoluer. Respecter les agriculteurs, c’est leur tenir un discours de vérité : oui, l’agriculture est sans aucune contestation possible la principale cause de pollution des rivières avec des rejets trop importants d’azote et de phosphore.

Dire cela n’est pas une attaque contre les agriculteurs. Tant que cela ne sera pas intégré, nous ne pourrons pas avancer sur la question du traitement des pollutions dans les cours d’eau. Les agriculteurs en font déjà beaucoup et respectent dans leur quasi-totalité le cahier des charges restrictif de l’AOP comté.

Malheureusement, tout le monde constate sur le terrain que cela ne suffit pas. Ce mode d’élevage extensif ne poserait aucun problème ailleurs. Mais chez nous, la nature des sols karstiques fait que même ces pratiques plus vertueuses ne sont pas adaptées et engendrent des pollutions dans les rivières.

Nous ne tomberons pas dans le piège qui consisterait à faire peser l’ensemble de la responsabilité des pollutions aux seuls agriculteurs, et par conséquent à cette filière Comté dénoncée très souvent dans la presse. C’est la société tout entière qui doit s’interroger et trouver les pistes pour concilier agriculture et vie aquatique.

Depuis des années, bon nombre d’entre eux ont anticipé cette crise et ont modifié les méthodes de travail de leurs prédécesseurs, voire leurs propres méthodes. Ils ont évolué vers une agriculture beaucoup plus respectueuse de notre santé et de notre terre.

Raillés pour avoir été précurseurs et pour avoir annoncé les situations catastrophiques auxquelles nous devons faire face aujourd’hui, ces agriculteurs sont enfin pris au sérieux et ont été rejoints par beaucoup d’autres qui, chaque jour, prennent conscience qu’une partie des solutions dépend d’eux.

Une partie seulement car s’ils sont prêts à modifier leurs projets et leur agriculture, ils sont conscients que cela entrainera des conséquences financières très importantes pour eux et s’interrogent sur la survie même de leurs exploitations.

Diminuer le nombre de têtes de bétail dans une région où les éleveurs sont particulièrement attachés à leurs bêtes entraine un nombre considérable de défis à relever. Economiques d’abord, mais aussi culturels.

C’est la société dans son ensemble qui devrait empoigner cette question. Les pouvoirs publics devront aider et accompagner les agriculteurs dans cette mutation indispensable qui suscite des craintes légitimes et parfois un sentiment de rejet et, encore, des moqueries. L’aide de la collectivité sera indispensable pour rassurer les agriculteurs, sécuriser les démarches de changement de pratiques et susciter de nouvelles vocations pour, au minimum, maintenir le nombre d’exploitants agricoles.

Nous sommes certains qu’un grand nombre d’entre eux sont conscients de la situation et seront prêts à fournir les efforts nécessaires s’ils se sentent respectés et ne se retrouvent pas perdants.

Nous devons écouter les analyses et les conseils des scientifiques, mais nous devons également écouter ceux qui sont les plus à même d’analyser l’agriculture : les agriculteurs. Le volet social est absolument indissociable de l’effort à fournir pour régler la pollution des rivières du Doubs. Il y va de la réussite de l’évolution de notre agriculture pour la sauvegarde de notre santé, de l’eau que l’on boit, de l’air que l’on respire, et donc de l’avenir de notre planète.

Les rivières du Doubs en bon état écologique, vraiment ?

Vidéo de Georges Ubbiali qui pousse la chansonnette et interroge la pertinence des indicateurs utilisés sur le site de l’eau du département du Doubs qui classe l’essentiel des cours d’eau dans la catégorie « bon état écologique ». Cela ne reflète pas la réalité et contribue à donner une information biaisée au public. Intervention prononcée lors de l’Assemblée départementale du 20 mars 2023 consacrée à la demande de mission d’information et d’évaluation sur la pollution des rivières du Doubs.

Texte de cette intervention prononcée lors de l’Assemblée départementale du 20 mars 2023 consacrée à la demande de mission d’information et d’évaluation sur la pollution des rivières du Doubs :

Comme beaucoup de monde, et peut-être même certains d’entre vous, j’ai pu voir de mes yeux la catastrophe en cours dans nos rivières. Je suis le seul élu départemental à avoir répondu à l’invitation qui nous avait été lancée en décembre par la société de pêche la Franco-Suisse à Goumois. L’objectif était de constater sur le terrain la situation dramatique des cours d’eau et les mortalités massives de poissons. Peut-être avez-vous eu d’autres occasions de voir par vous-même ce triste spectacle, ce n’est malheureusement pas rare, et de plus en plus fréquent.

Quand vous vous promenez le long des berges, vous voyez de très nombreux de poissons sur le flanc, d’autres agonisent dans l’eau, presque immobiles en attendant la mort, recouverte de taches blanches, victimes d’un champignon Le saprolégnia. Presque aucun poisson ne nageait normalement. Je ne suis même plus sûr d’en avoir vu un. C’est un spectacle désolant et terrifiant, qui n’est, hélas, pas nouveau.

Mais, en décembre, la situation était encore plus grave. Pour la première fois, l’épisode de mortalité est survenu AVANT la période de reproduction des poissons. Cela aura donc des conséquences sur la population des truites et des ombres déjà fort mal en point. Les poissons seront, très probablement, encore moins nombreux à survivre aux prochaines pollutions. Peut-être que la prochaine fois, nous ne verrons plus de poissons morts. Simplement, parce qu’il n’y aura plus du tout de poissons dans les rivières.

Lors de cette visite, les gardes-pêche ont souhaité alerter sur les indicateurs utilisés pour déterminer le bon état écologique des cours d’eau. Les voyants sont au vert, mais les poissons meurent. Cherchez l’erreur !!!. Cette situation n’échappe d’ailleurs à personne. Les indicateurs réglementaires issus de la Directive-cadre sur l’eau de 2019 ne sont pas du tout adaptés aux rivières karstiques. J’ai appris par la suite que le seuil de la valeur guide optimale pour le nitrate avait été multiplié par 5 par rapport aux normes de 2013.

Les choses avancent, l’EPAGE Haut-Doubs Haute-Loue a validé au printemps 2022 les concentrations maximales admissibles en azote et phosphore d’après des valeurs proposées par le laboratoire Chrono-environnement de l’Université de Franche-Comté et qui correspondent davantage à la réalité du terrain. Cela est d’ailleurs rappelé sur le site de l’eau du département.

Tout le monde a donc bien conscience que déterminer le bon état écologique des rivières d’après les seuils réglementaires/officiels n’a strictement aucun sens. Pourtant, c’est sur cette base que les résultats sont présentés sur le site de l’eau. Les visiteurs du site qui cherchent une information sur la qualité du Doubs à Goumois constateront que la station est toute en vert sur le site de l’eau du département. Bon état écologique, bon état biologique. Bon sur tout. La station de Goumois est même en très bon état pour l’indice des macro-invertébrés, de la teneur en oxygène et de la température. Tout est quasiment merveilleux sur le site de l’eau.

Pourtant, le constat, c’est que ces résultats ne donnent pas la bonne information aux citoyens. Et ce n’est pas une surprise pour vous, puisque la mise en garde existe pourtant bien sur le site départemental de l’eau ! En présentation de l’onglet sur la qualité des cours d’eau, la remarque indique, et je cite «  Le « bon état écologique » correspond théoriquement au bon fonctionnement des écosystèmes du milieu aquatique. En pratique, il convient de rester prudent quant aux qualificatifs issus d’une interprétation de résultats d’analyses sur la seule base de seuils réglementaires. Les cartes présentées ont davantage vocation à distinguer les cours d’eau dont l’état d’altération est plus prononcé que les autres. Concrètement, l’obtention du « bon état » sur une station d’étude ne signifie pas nécessairement que le cours d’eau est préservé et fonctionne de manière optimale ». Il n’y a rien à ajouter, tout est dit.

Seul le paramètre nitrate n’est pas présenté selon les normes réglementaires de la DCE (Directive-cadre sur l’eau) sur les cartes du site de l’eau. Pour cette valeur, ce sont les normes de 2013 qui sont utilisées.

Mais cela n’a pas empêché que lorsque j’étais à Goumois en train d’observer les poissons morts, la station de Goumois était toute en vert sur le site de l’eau. Pour retrouver des valeurs brutes, il faut aller ailleurs. Sur la base de données Naiades que je suis allé consulter (Base de données stations de contrôle de la qualité de l’eau) on retrouve ces valeurs concernant la concentration en nitrate : 9.2 mg/l en septembre 2022, 10 en octobre, 8.6 en novembre et 8.2mg/l le 1 er décembre, valeur la plus récente présentée.

Malgré les discrètes mises en garde du site, j’estime donc que l’information délivrée n’est ni fiable ni correcte, car elle ne permet pas de se faire une idée la plus objective possible de la situation. La dernière mise à jour des valeurs de la station de Goumois indique d’ailleurs la date du 2 octobre 2021. Nous pensons qu’il faut clarifier de la fréquence des mesures utilisées et de la présentation au public sur le site et que vous devriez donner au public les valeurs brutes de concentration des nitrates dans l’eau et les mettre en relation avec les valeurs maximales validée par l’EPAGE.

D’ailleurs, pouvez-vous nous donner la valeur moyenne de la concentration moyenne des cours d’eau du Doubs pour se faire une idée de la marche à franchir ?

Discours fort de Raphael Krucien à propos de la pollution des rivières du Doubs

Vidéo du discours fort de Raphael Krucien qui porte le message du DSES à propos de la pollution des rivières du Doubs.

Le constat est sans appel : de l’avis des spécialistes et des scientifiques, c’est bien une baisse de la production laitière qui est nécessaire pour restaurer l’état écologique des rivières.

Face aux défis que cela représente, nous lançons l’idée d’une forme de conférence citoyenne territoriale sur cette question.

Voici le texte du discours prononcé le 20 mars par Raphaël Krucien avant que la majorité refuse la création de notre mission d’information et d’évaluation sur la pollution des rivières du Doubs :

Vous avez chamboulé tous les travaux et l’agenda de notre Assemblée en choisissant ce jour pour soumettre au vote et débattre notre demande de mission et d’information consacrée à la pollution des rivières du Doubs.

Deux jours avant la journée mondiale de l’eau, nous ne pouvons qu’y voir un signe de votre volonté de la créer et d’avancer avec nous !

Avec cette MIE, nous avons souhaité à notre tour, et après beaucoup d’autres, tirer solennellement la sonnette d’alarme. Il y a urgence depuis de trop longues années pour perdre encore davantage de temps.

Nous souhaitons avancer avec vous sur ce chemin.

L’heure n’est plus aux plans de communication si nous voulons vraiment agir contre la pollution des rivières, mais à l’action politique. Le débat doit se porter sur la manière de mettre en œuvre rapidement les mesures nécessaires, et nous savons tous que ce sera très compliqué.

L’heure n’est plus au déni, il faut arrêter de se voiler la face et de se mentir sur les causes de cette pollution. Elle est multifactorielle, certes, avec les effluents domestiques, industriels et agricoles. Des efforts importants sont menés sur le volet assainissement et épuration, il faut les accentuer encore.

Mais pour obtenir des résultats significatifs, il faut surtout accentuer les efforts pour réduire les effluents d’origine agricole, qui représentent 70 à 80% des nitrates que l’on retrouve dans l’eau.

L’heure n’est plus à tergiverser et à accuser les défenseurs des rivières de dénigrer l’agriculture ou de vouloir tuer le comté, il y a des extrémistes partout.

Ici, presque toutes les fermes sont des élevages extensifs qui suivent un cahier des charges strict pour produire un fromage dont nous sommes tous fiers que ce soit en le dégustant ou pour raconter son histoire, fruit du travail paysan et de la coopération entre les Hommes.

Pour nous, dénigrer les agriculteurs, c’est de ne pas leur dire que bientôt, d’ici 2027, les effluents produits sur le terrain devront se mettre en adéquation avec ce que les rivières peuvent supporter.

Il faut préparer tout le monde à cette échéance et accompagner les agriculteurs dans cette transition délicate, mais indispensable.

Il faut trouver le courage de tenir ce discours de vérité.

C’est très dur d’admettre en regardant les vaches dans nos belles prairies que c’est l’une des causes majeures des pollutions des rivières. Il n’y a pas plus de vaches qu’avant, et déjà même un peu moins. C’est la production de lait par vache qui a été multipliée, au fil des années, passant de moins de 2000 litres de lait par vache et par an dans les années 50 à environ 7000 litres aujourd’hui.

Nous devons nous rendre à l’évidence. C’est bien à une baisse de la production laitière sur les territoires sensibles que nous devons tendre. C’est le débat qu’il faut ouvrir, mais cela nous apparait indispensable pour sauver nos rivières.

Que ce soit pour des raisons climatiques, d’émissions de CO², de manque d’eau et de fourrage lié aux sécheresses ou pour lutter contre les pollutions, diminuer le cheptel semble en effet être une solution adaptée et deviendra de toute façon une nécessité.

C’est aussi les scénarios sur lesquels sont basés les études prospectives et ce que préconisent les spécialistes.

Nous sommes conscients de ce que cela implique sur le terrain, c’est un changement culturel majeur, tout autant qu’un grand défi agricole, social et économique.

Nous n’y arriverons pas sans discussions communes, sur des bases bien établies.

Il faut trouver les dispositifs pour accompagner les agriculteurs et faire très attention aux futurs investissements pour ne pas causer un surendettement si on devait réduire cheptel.

Nous observons depuis quelque temps un changement. Les responsables de pollutions sont sanctionnés par la justice, le ton des articles de presse a changé, la préfecture se saisit de ses outils et ordonne des jours-amendes aux fromageries qui ne respectent pas les normes. Nous attendons maintenant un geste fort du département du Doubs.

Madame la présidente, vous êtes à la tête du département du Doubs, c’est maintenant ou jamais qu’il faut agir avec force pour sauver les rivières. Quand on critique certaines politiques dispendieuses, c’est à cela que l’on peut faire référence en interrogeant le sens des priorités de l’action publique. L’état des rivières du département sera l’un des points qui constitueront le bilan de votre action à la tête de notre collectivité.

Madame Loizon, vice-présidente du département en charge notamment de l’eau et du tourisme : nous saluons toutes les initiatives menées pour restaurer les cours d’eau et les zones humides.

Aujourd’hui, notre MIE est spécifiquement consacrée à la question des pollutions, et sur ce volet nous estimons que le département n’en fait pas assez.

L’un des points concerne l’incidence de ces pollutions sur le tourisme et sur l’image du département, nous souhaiterions, tout comme vous, que les rivières retrouvent leur attrait.

Monsieur Alpy, vice-président, vous êtes aussi à la tête de l’EPAGE et de la CLE, l’instance chargée de préparer le futur SAGE pour 2027 et de trouver les moyens de ne pas dépasser les valeurs maximales de nitrates et de phosphates dans l’eau adoptées au printemps dernier. Il y a encore beaucoup de chemin et nous mesurons la difficulté de cette charge, mais nous vous encourageons à accélérer encore !

Vous avez été sacré champion de la transition climatique avec la station de Métabief, son concept de 4 saisons et l’arrêt des dépenses d’investissements dans les remontées mécaniques. Et c’est avec une réelle considération que je salue le travail mené avec l’équipe du SMMO. Cette reconnaissance est aussi liée au fait que vous êtes allé à rebours des idées reçues, vous êtes sortis des habitudes que l’on a pu croire éternelles.

Mais plus de neige, plus de vacances au ski. Vous vous êtes adaptés à temps pour concilier réalité climatique et développement économique. Imaginez un peu si vous deveniez, si le département devenait en plus le sauveur des rivières comtoises et de la filière Comté !

Mesdames et messieurs les conseillers départementaux, je vous invite tous à voter cette proposition de mission d’information et d’évaluation sur la pollution des rivières.

Pour aller plus loin, peut-être à l’issue de cette MIE, nous pouvons aussi imaginer quelque chose d’encore plus ambitieux. Cette question est sans doute l’une des plus importantes pour notre territoire.

Nous lançons l’idée d’une forme de convention citoyenne pour traiter des pollutions de l’eau et des solutions à mettre en œuvre. C’est une idée forte que pourrait porter ou soutenir le département. Cela serait une manière novatrice et efficace de parvenir démocratiquement à un consensus pour régler le problème des pollutions.

Merci de votre attention, maintenant débattons !

Refus de notre MIE : la pollution de l’eau reste taboue dans le Doubs, nous proposons une convention citoyenne

Plutôt que voter notre mission d’information et d’évaluation (MIE) sur la pollution des rivières du Doubs et montrer une réelle volonté d’avancer sur ce dossier, la majorité a préféré une nouvelle fois éviter le sujet et littéralement noyer le poisson.

Le ton était donné d’entrée quand nous avons eu la surprise de voir l’intitulé de notre MIE renommée arbitrairement. Il n’était plus du tout question de pollution, comme l’exposait clairement son objet, mais de politique de l’eau… Cherchez l’erreur.

Cela préparait le terrain à une présentation hallucinante à quatre voix de plus de deux heures, presque entièrement hors sujet. Si certains conseillers départementaux ont pu découvrir la politique départementale de l’eau, il n’a pas été beaucoup question des pollutions.

Le refus de notre MIE et la manière dont elle a été traitée prouvent une chose : travailler sur les causes de la pollution des rivières est encore tabou au département du Doubs.

Après cette très longue présentation, nous avons pu justifier notre demande de MIE et débattre. 30 ans après les premières alertes des pêcheurs, nous avons décidé de tirer solennellement à notre tour, et après bien d’autres, le signal d’alarme.

Pour monter en compétence et comprendre ce qu’il est possible de faire pour régler la question, les élus du groupe DSES ont rencontré scientifiques, ingénieurs agronomes, politiques et syndicalistes.

Personne ne nie la situation catastrophique pour les rivières et les poissons. Les épisodes de mortalité sont souvent la conséquence de l’eutrophisation des rivières, causée par un apport trop important d’azote et de phosphore qui favorise la prolifération des algues et qui diminue la teneur en oxygène de l’eau.

Les causes de cette pollution sont multifactorielles et proviennent des rejets domestiques, industriels et agricoles, mais la part de l’agriculture est écrasante. L’heure n’est plus à le nier. Entre 70 et 80 % des flux d’azote (nitrates) et de phosphore sont issus de l’activité agricole et c’est donc sur ce levier qu’il faut maintenant agir si nous souhaitons des résultats.

Énoncer ce constat n’est pas être contre les agriculteurs. Au contraire, nous pensons que c’est de ne pas tenir ce discours de vérité qui dénigre les agriculteurs.

Pour la période 2019-2021, la valeur médiane des concentrations en nitrate mesurées dans tout le Doubs est de 7,6 mg/L. Il faut mettre ce chiffre en rapport avec ceux des scientifiques du laboratoire chrono-environnement et adoptées par l’EPAGE Haut-Doubs Haute-Loue au printemps 2022. Ils établissent une concentration naturelle de 0,3 à 3 mg/L et définissent des concentrations maximales admissibles de 1,3 à 3,5 mg/L. Il reste beaucoup de chemin pour atteindre ces valeurs. Seuls 10 % des mesures sont inférieures à 2,4 mg/L et 10 % dépassent 18,3 mg/L.

Si nous voulons réduire la pollution de nos rivières et restaurer la vie aquatique, il faudra donc certainement se résoudre à réduire le nombre de têtes de bétail et/ou la production laitière sur certains territoires sensibles. Il faudra donc aussi trouver des mesures d’accompagnement.

Nous sommes conscients que cela implique un changement culturel majeur dans une région où l’élevage est extensif et où les agriculteurs suivent déjà un cahier des charges strict et rigoureux. Conscients aussi des risques économiques, que ce soit au niveau de chaque ferme ou de la filière Comté.

Ce défi est sans doute le plus important pour notre territoire, mais nous sommes certains de pouvoir le relever, de concilier Comté et vie aquatique. Cela ne sera sans doute pas simple et pourrait générer quelques tensions.

Nous lançons l’idée d’une forme de convention citoyenne territoriale pour traiter des pollutions de l’eau et des solutions à mettre en œuvre. Cela pourrait être une manière novatrice et efficace de parvenir démocratiquement à un consensus pour régler le problème des pollutions et accompagner la transition nécessaire.

Image générée avec l’intelligence artificielle DALL-E suite à une requête demandant une peinture d’après le style de Gustave Courbet représentant des truites mortes au bord de la Loue.