Discours liminaire du 17/11/25

Discours de Raphaël Krucien prononcé lors de l’Assemblée Départementale du 17 novembre 2025. Sont notamment abordés les difficultés financières des Départements et les différentes solutions, l’annonce de la saisine de la CADA pour obtenir les marchés publics de construction de la salle multimodale de la Saline Royale que l’exécutif refuse de communiquer et une proposition claire pour donner un cap au soutien du Département au territoire : conditionnalité des aides PAC à des critères environnementaux, sociaux et aux indices de santé financière des autres collectivités.

Madame la Présidente, chers collègues,

Il y a dix ans, la France était frappée au cœur. Le 13 novembre 2015, des vies ont été brutalement arrachées, des familles brisées, et notre pays plongé dans l’effroi et la sidération. Aujourd’hui, nous nous recueillons pour honorer la mémoire des 130 victimes de ces attentats barbares, ainsi que celle des centaines de blessés.

Ces femmes et ces hommes, jeunes pour la plupart, étaient des pères, des mères, des enfants, des amis, des collègues. Ils étaient venus partager un concert, un match, un verre en terrasse, ou simplement profiter d’une soirée parisienne. Ils incarnaient la joie de vivre, la liberté, la diversité et la fraternité.

Ce sont ces valeurs qui font de notre société ce qu’elle est, et ce qu’elle doit rester. La France s’est levée, unie dans la douleur mais déterminée à résister contre la haine et la violence.

Liberté, Egalité, Fraternité !

J’ouvre aussi une parenthèse, pour exprimer notre indignation à la suite de l’insulte proférée en conseil régional, à l’un de nos sénateurs. Chacun sait, a quelle période de l’histoire ce qualificatif renvoie. Si les débats publics peuvent être parfois âpres, rien ne justifie de basculer à ce point dans la haine.

Aujourd’hui, un autre pilier de notre République vacille : notre modèle social, menacé par les politiques d’austérité qui se profilent avec insistance à l’horizon.

Notre collectivité, le Département, est celle des solidarités.

C’est nous qui assurons le versement du RSA aux plus démunis, de la PCH aux personnes handicapées, de l’APA aux personnes âgées en perte d’autonomie.

C’est nous qui accompagnons les plus vulnérables pour leur permettre une vie digne. Et c’est aujourd’hui la soutenabilité même de ce modèle qui est questionnée.

Les Départements peinent, année après année, à boucler des budgets de plus en plus contraints. Le modèle de financement n’est plus viable, il n’a plus aucun sens et ne correspond pas à la réalité de ses missions. Nous n’avons plus aucun levier fiscal, des recettes dépendantes de fractions de TVA (écrêtée par l’état) et du marché immobilier, pendant que nos dépenses sociales explosent.

Le constat est ancien et unanime.

Les réponses de l’État, elles, restent insuffisantes, incohérentes.

Vous avez entendu comme moi Madame la Présidente les annonces incomplètes du Premier ministre vendredi à Albi lors de la clôture des Assises des Départements de France qui dénoncent tous une véritable asphyxie.

Entre baisse des recettes et hausse des dépenses, les Départements ont subi en deux ans un effet-ciseaux de 5.9 milliards d’euros.

Quel est le remède proposé par l’Etat ? Doubler un fonds de sauvegarde à 300 millions d’euros… pour 104 départements. Même à 600 millions, c’est une goutte d’eau. Et encore, si la loi de finances est adoptée ! A cette heure, 60 départements seront probablement en incapacité de financer leurs politiques.

D’autres mesures sont annoncées, comme le dépôt d’un projet de loi en décembre pour créer une « allocation sociale unique » pour rapprocher la prime d’activité, le RSA et les aides au logement. Si cette réforme promise depuis 2017 allait au bout, elle devrait permettre des économies de gestion et réduire considérablement le taux de non-recours aux prestations sociales.

Mais si cela se fait à budget constant, comment ne pas craindre un nivellement par le bas ?

Si le diagnostic fait consensus, les solutions, elles, révèlent les clivages politiques.

A droite, on propose de réduire les dépenses, d’alléger les prestations sociales que certains considèrent comme un fardeau. En somme : rogner sur le modèle social.

La gauche, elle, accepte de réfléchir aux dépenses, mais affirme que l’essentiel du travail pour rétablir l’équilibre doit venir des recettes, notamment via l’instauration d’une politique nationale de justice fiscale et une réforme des droits de succession pour garantir la pérennité du modèle social.

Je souhaite citer ici les mots de notre collègue Jean-Luc Gleyze, Président de la Gironde, Président du groupe des Départements de gauche prononcé à Albi vendredi dernier, que vous avez entendu comme moi Madame la Présidente, et que je souhaite partager à tous ici. En espérant que cela puisse nous inspirer et nous éviter de dériver vers moins d’humanité.

« Certains départements préfèrent compter les euros dépensés pour les plus fragiles plutôt que de demander des comptes à ceux qui en ont trop. La solidarité n’est pas une dépense, c’est un investissement sur l’avenir : celui d’une société qui refuse de laisser qui que ce soit sur le bord du chemin ! »

C’est cette vision qui doit nous guider.

Oui, la solidarité, tout comme la prévention, ce ne sont pas des dépenses mais un investissement sur l’avenir.

Si l’Etat entend véritablement aider les Départements, il doit garantir une compensation des allocations de solidarités, il doit nous redonner une autonomie fiscale réelle et suffisante pour nous permettre de mener des politiques volontaires sans compromis sur l’exercice de nos compétences propres, il doit taxer les superprofits des autoroutes pour financer les routes départementales, il doit porter une loi organique pour garantir le financement des collectivités locales et affirmer leur place dans le processus de décentralisation.

Notre politique de solidarité, c’est le cœur de notre engagement en tant que conseiller départementaux.

C’est aussi celle que nous exprimons aujourd’hui envers les agriculteurs touchés par la dermatose nodulaire contagieuse. Une maladie terrible : un animal touché et c’est tout le troupeau qui doit être abattu pour éviter la propagation.

Nous voulons redire notre soutien total aux éleveurs du département, dont nous connaissons l’attachement profond à leurs bêtes. J’ai ce matin une pensée particulière envers mon voisin d’assemblée, dont l’exploitation se situe tout près des foyers du Jura.

Nous espérons tous que les mesures prises permettront d’épargner le Doubs de ce fléau. Et nous n’oublions pas que nous sommes déjà concernés et impactés par les zones de protection et de surveillance qui incluent presque la moitié des communes du Doubs.

Nous avons quelques interrogations sur la matérialisation concrète du dispositif de soutien qui sera voté, et nous y reviendrons tout à l’heure.

J’ai également déposé une motion visant à soutenir nos partenaires associatifs du secteur social et médico-social, comme nous le faisons pour la filière lait cru.

Leurs difficultés sont connues, structurelles, et aujourd’hui critiques : manque de trésorerie, de personnel, de moyens. Beaucoup ne tiennent que grâce à la conscience professionnelle de salariés dévoués, qui travaillent dans des conditions dégradées.

Tout cela ne peut plus tenir. Nous ne pouvons pas laisser ces structures s’effondrer dans le silence. Elles exercent à nos côtés les missions liées à nos champs de compétences propres, que ce soit sur la protection de l’enfance, l’insertion, le handicap, l’autonomie, le maintien à domicile.

Nous vous demandons, chers collègues, de voter avec nous cette motion pour marquer notre solidarité et démontrer notre soutien envers nos partenaires.

L’enjeu est vital.

Il s’agit de sécuriser les missions de service public dont nous avons la responsabilité.

Dans le contexte budgétaire que nous connaissons, le recentrage sur nos compétences obligatoires est une nécessité.

Vous n’avez pas souhaité mettre à l’ordre du jour de cette Assemblée, l’examen de notre demande de mission d’information et d’évaluation sur l’aide optionnelle au développement économique que vous portez.

Vous annoncez cependant dans les orientations budgétaires une évaluation de ce dispositif avec les EPCI, c’est déjà une bonne chose. Peut-être le début de la reconnaissance d’un problème ?

Vous savez que nous critiquons fortement ce dispositif. Pour nous, ce n’est qu’un saupoudrage aléatoire d’argent public, sans critères pertinents, sans vision économique globale. De nombreux dossiers d’aides seront votés tout à l’heure en cession non publique.

Nous aurons l’occasion d’en débattre lors de la prochaine Assemblée, en plus des nombreux autres sujets qui nous occuperons.

Et s’il est un sujet qui nous occupe, c’est bien celui de la Saline.

Vous avez refusé d’en débattre lors de notre dernière Assemblée. Je ne peux pas vous laisser dire, vous ou d’autres, que nos paroles sont des contre-vérités au sujet de la Saline et de la société Musicampus sans réagir. Nous avons raison. Et vous le savez très bien.

Ce débat est départemental. C’est le département qui est le principal soutien de la Saline.

Le département y consacre d’ailleurs plus du quart de son budget culturel. Sans même évoquer les investissements, nous consacrerons en fonctionnement plus de 1.5M€ à la Saline sur un total de 4.4M€ de crédits de fonctionnement dédiés à la culture en 2025.

Alors que ces crédits baissent par rapport à 2024, la part de la Saline, elle, augmente ! Et nous n’aurions pas le droit d’en parler ici ?

Cela nous interroge beaucoup sur la vision culturelle départementale que vous portez, ainsi que sur la considération accordée aux nombreux acteurs qui font vivre la culture ailleurs sur le territoire.

Nous accueillons plutôt favorablement l’orientation vers une culture plus populaire.

Cependant, nous sommes très réservés sur les risques de concurrence que cette programmation pourrait faire peser sur les salles des musiques actuelles doubiennes et sur les salles du Jura, qui évoluent sur le même créneau.

J’y ajoute les festivals, et j’en veut pour témoin la dernière émission de FR3 Franche-Comté, ou les festivals témoignent de leurs difficultés face à la concurrence subventionnée et privée.

Dans un souci de respect envers ces partenaires, nous réclamons une réelle concertation.

Nous souhaitons un plein succès à votre nouvelle politique de production de concerts.

Nous espérons qu’elle permettra d’accroitre les recettes propres de l’EPCC et, ce faisant, de réduire les subventions qui lui sont allouées afin de mieux irriguer la scène culturelle locale dans sa diversité.

Et il faut dire les choses, vous n’aviez pas vraiment le choix. Face à l’échec de Musicampus, il fallait bien trouver une solution pour amortir les investissements massifs, plus de 10 millions d’euros, engagés dans la salle multimodale. Pour quels usages réels ?

Notre rôle n’est pas de dénigrer la Saline. Nous reconnaissons sa qualité et je ne cesse de le dire.

Notre rôle, Madame la Présidente, est de contrôler l’action de l’exécutif. Et avec la Saline et Musicampus, de nombreux éléments posent question.

C’est pour cela qu’il nous est impossible de nous taire sur ce sujet.

Il ne s’agit pas d’agiter des mots d’ordre populistes, comme certains veulent le faire croire. Il s’agit de contrôler la bonne utilisation de l’argent public et de rétablir la vérité.

Je n’entrerai pas ici dans tous les détails, mais ce rapport, public et accessible en ligne, mérite d’être lu par chacun.

Pour tenter de clarifier la situation, l’EPCC a adopté une grille des prestations facturées à la SAS Musicampus.

Mais cette grille soulève elle-même de nouvelles interrogations, que je réserve dans un courrier qui vous sera adressé rapidement.

D’autre part, en février 2023, nous vous avons demandés plusieurs documents, dont le marché public de construction de la salle multimodale d’Arc-et-Senans.

Vous avez préféré organiser la venue du directeur de la Saline, ce qui était intéressant mais loin de répondre réellement à toutes nos demandes.

Depuis la publication du rapport de la CRC, les doutes sur le périmètre exact de ce qu’a financé le Département dans la Berne Est, entre la salle multimodale, les bureaux, les studios, se renforcent.

J’ai donc renouvelé ma demande.

Je dois vous dire que je ne m’attendais pas à une telle réponse.

Un samedi, dans ma boîte aux lettres personnelle, j’ai découvert une lettre du Département, deux jours avant le conseil d’administration de la Saline.

C’était votre réponse : quelques feuilles imprimées, une synthèse des étapes de passation du marché. En clair : un nouveau refus de communiquer le marché public, pourtant demandé.

Qu’y a-t-il dans ces documents pour justifier ce refus répété ?

Je vous le dis avec clarté : nous voulons ces marchés.

Je prends donc acte de votre refus et vous informe devoir saisir la CADA, la Commission d’accès aux documents administratifs, pour obtenir la communication de ces pièces.

Mais j’aimerais finir par une note positive.

Le débat qui nous intéresse aujourd’hui est celui des orientations budgétaires. Au nom du groupe, je me permets de vous suggérer une piste.

Refondons notre dispositif de soutien au bloc communal.

Nous n’avons plus les moyens d’aider sans compter.

Donnons-nous un cap pour dynamiser notre territoire. Nous ne pouvons plus aider pour aider. Nous devons réfléchir à l’impact de notre soutien.

Voici une idée simple à étudier et à affiner avec tous nos partenaires : engager une réflexion sur la conditionnalité des aides PAC à des critères environnementaux, sociaux et aux indices de santé financière des autres collectivités.

Aujourd’hui, cela n’a plus aucun sens de soutenir de la même manière un projet qui nous permet de mieux répondre aux défis du futur que celui qui ne le fait pas.

Aujourd’hui, cela n’a plus aucun sens d’aider une commune ou une communauté de communes plus riche de la même manière qu’une autre qui l’est beaucoup moins. Cela est d’autant plus vrai, que nous, départements, sommes la strate la plus en difficulté.

En effet, il faut tenir.

Merci pour votre attention.

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